Dans la bonne ville de Brest s’est tenu du 30 janvier au 4 février 2018 le 15ème Festival de la Radio et de l’Ecoute. Depuis l’appel du 18 juin 1940, les Français parlent aux Français par l’intermédiaire de ce support qui, contrairement à la télévision, présente l’avantage de ne pas imposer d’image, pour paraphraser le regretté José Artur. C’est à la fois reposant et stimulant.
Tous les ans, dans ce lieu où se rencontrent celles et ceux qui préfèrent communiquer sans se voir, la question de la langue est omniprésente. Ainsi, notre associé Xavier Combe fut invité à participer à une table ronde sur le vaste sujet « Qu’est-ce que traduire ? » (bientôt écoutable ici). Plutôt qu’un résumé des débats, nous vous proposons sa contribution écrite qui figure désormais dans les actes de cet important festival.
L’interprétation, cet exercice paradoxal
« Interpres loquitur, utinam nemo de interprete loquatur » (Que l’interprète parle, mais que personne ne parle de l’interprète), telle est la devise inscrite en exergue du code de déontologie de l’Association Française des Interprètes de Conférence Indépendants.
L’interprétation est un exercice paradoxal : l’interprète doit disparaître de l’échange qui serait impossible sans sa présence. Le truchement ne doit être qu’un truchement. Tant mieux si on l’oublie.
Cependant, le métier d’interprète fascine et on le choisit souvent par vocation dès l’enfance ou l’adolescence, surtout quand on a la chance d’être bilingue.
Le métier d’interprète
Le monde vu par le prisme de la langue suscite une curiosité permanente tout au long de la vie, dans tous les domaines. C’est justement dans tous les domaines de l’activité et de la réflexion humaines que l’interprète est amené à apporter ses compétences. Au fil des années et à la faveur de certaines rencontres, l’interprète peut se forger des préférences, se construire des domaines de prédilection, sans pour autant devenir expert. Paradoxe supplémentaire, l’interprète est anachronique car sa culture est horizontale, pluridisciplinaire, souvent très étendue mais superficielle. L’interprète doit ressembler en cela à ce qu’on désigne en anglais par le terme « Renaissance man », ce qui est d’autant plus acrobatique que le métier est surtout exercé par des femmes.
Tel le caméléon qui s’habille comme son environnement, l’interprète doit parler comme l’orateur. Son style est précieux ? Entendu, celui de l’interprète le sera aussi. Vulgaire ? L’interprète ne juge pas, mais imite. Cultivé ? Enjoué ? Pédant ? Embarrassé ? L’interprète doit être le miroir dans lequel les autres voient l’orateur.
Un peu comédien, un peu psychologue, mais fin connaisseur des façons de parler, l’interprète doit anticiper, oser, prendre des risques pour suivre son orateur à la trace, voire emprunter des raccourcis pour le rattraper. Sa voix doit se fondre dans les intonations de celle de l’orateur.
L’interprète de conférence
En conférence, les participants qui écoutent l’interprète dans leur casque n’entendent pas l’orateur mais ils le voient. A la radio, en revanche, les auditeurs ne voient pas l’orateur mais ils l’entendent, en parallèle de la voix de l’interprète. Mais pour que l’exercice soit réussi, il faut compter sur la compétence et l’expérience du responsable du son qui doit réaliser un équilibre délicat entre les deux voix. Monter celle de l’orateur quand l’interprète ne parle pas, puis mettre en relief l’une par rapport à l’autre, sans excès. Il n’y a pas que l’interprète qui doit faire preuve d’une grande concentration.
C’est un travail d’équipe, au service d’un juge de paix omniprésent mais véritablement invisible : l’auditeur.
De langues maternelles française et américaine, Xavier Combe est interprète de conférence, traducteur et enseignant à l’Université de Paris X. Il collabore régulièrement à France Culture, France Inter, France Musique, France Info, RFI et Radio Nova.